version du 9 décembre 2016 – [PDF]
Rien n’est plus imminent que l’impossible (Victor Hugo).
L’article 2 de la Constitution dispose que « le principe de la République est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » Pourtant cette même constitution définit une architecture des pouvoirs fondée sur la prééminence du pouvoir d’un seul. Cela pouvait, dans les circonstances de l’époque, être concédé au Général de Gaulle. Mais ces circonstances ont changé. Le rejet de Nicolas Sarkozy en 2012 et le renoncement lucide de François Hollande en 2016 révèlent une organisation du pouvoir et une manière de l’exercer dont les citoyens ne veulent plus.
Car la Constitution de 1958 permet aujourd’hui à un exécutif de moins en moins légitime d’imposer sa volonté. La réforme du droit du travail sans examen par l’Assemblée est emblématique de cette situation. Les institutions de la démocratie fonctionnent toujours, mais elles tournent à vide. Les citoyens votent de moins en moins, car ils ont de plus en plus le sentiment d’avoir perdu toute influence sur les décisions politiques. Le pacte représentatif est dénaturé quand il n’y a plus que des entrepreneurs en politique et des clientèles. Pour la politologue Chantal Mouffe, la souveraineté populaire est devenue une « catégorie zombie ».
L’enjeu est aujourd’hui pour les citoyens de reconquérir un pouvoir dont ils ont été dépossédés.
Les présidentielles : un moment pathétique et désespéré.
Les institutions sont dévastées par une crise de légitimité, de crédibilité et de confiance. En novembre dernier, 74% des Français jugeaient que les élus sont trop souvent corrompus. Les présidentielles sont encore un moment pathétique de recherche désespérée de l’homme providentiel..
Mais la vérité est ailleurs : nombreux sont ceux qui rêvent d’un coup d’État citoyen. Pour changer la Constitution, quelques principes pourraient faire consensus. Il n’est pas nécessaire d’aimer la même cuisine pour s’accorder sur des règles d’hygiène et de sécurité alimentaires. De même, il n’est pas non plus nécessaire de partager les mêmes opinions politiques pour s’accorder sur des principes d’hygiène et de sécurité démocratiques. Les Français ont bien compris, lors du référendum sur le Traité constitutionnel de 2005, que l’organisation du pouvoir a une influence sur leur vie quotidienne.
Ouvrir le champ des possibles.
Pour échapper à une présidentielle de tous les dangers, il faut envisager la possibilité d’une candidature dont l’unique objectif serait la réforme constitutionnelle. L’idée a été avancée par Lawrence Lessig aux États-Unis, qui souhaitait ainsi lutter contre la corruption de l’argent en politique, avant d’y renoncer faute d’avoir obtenu suffisamment d’intentions de vote.
L’association Urgence Démocratique en propose une traduction française, envisageant une initiative qui pourrait être partagée par un groupe de personnalités.
L’objectif est d’élire un président avec un unique objectif de mettre à jour les règles fondamentales de notre démocratie.
S’il est élu, un tel président convoquerait un référendum dans le cadre de l’article 11 de la Constitution.
Ce référendum aurait un double objectif.
D’abord, adopter des règles d’exemplarité démocratique :
- instaurer comme condition d’éligibilité à toutes les élections l’absence de condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
- adopter pour les parlementaires le principe : une personne = un mandat unique, renouvelable une fois seulement : la politique ne doit plus être une carrière, mais un service ;
- permettre à un dixième du corps électoral, au niveau de chaque circonscription d’élection, d’obtenir un référendum révocatoire de l’élu en cas de manquement grave à son devoir d’exemplarité ;
- supprimer l’inviolabilité dont bénéficient le Président de la République et les parlementaires, qui leur permet de ne pas être poursuivi pendant la durée de leur mandat pour des actes étrangers à l’exercice de leurs fonctions ;
- supprimer la Cour de justice de la République afin de mettre un terme au privilège de juridiction dont bénéficient les membres du Gouvernement ;
- supprimer le « verrou de Bercy » qui donne au ministre du budget le monopole des poursuites en matière fiscale, afin d’établir l’égalité devant la loi de ceux qui se soustraient frauduleusement à l’impôt ;
- confier à la Cour de comptes la certification des comptes des partis politiques, qui bénéficient de financements publics ;
- donner à la Cour de discipline budgétaire et financière le pouvoir de sanctionner les infractions aux règles de gestion des fonds publics commises par les membres du Gouvernement et les élus locaux ;
- permettre aux parlementaires de s’engager à voter sur les lois comme les électeurs le décideront, selon des moyens permettant aux citoyens de concourir effectivement à l’élaboration des lois.
Ensuite, prévoir la mise en place d’une Assemblée nationale constituante, pour un changement profond et durable :
- Pour permettre l’application immédiate des règles d’éligibilité définies ci-dessus, qui aboutiront à un renouvellement important du personnel politique, les élections législatives seront différées de juin à septembre.
- Cette élection sera organisée à la proportionnelle par régions, tempérée selon le principe appliqué aux élections municipales : attribution de la moitié des sièges au parti qui a obtenu le plus de voix, et l’autre moitié entre toutes les listes présentes. Le vote blanc sera pris en compte : des élus seront tirés au sort en proportion du nombre de bulletins blancs.
- L’assemblée sera assistée d’un forum constituant consultatif, permettant à toutes les associations et organisations non gouvernementales de contribuer à l’oeuvre constituante : la Constitution est l’affaire de tous.
- À l’issue de son mandat constituant limité à deux ans, un projet de nouvelle constitution sera proposé au référendum.
L’Assemblée aura le mandat de faire des propositions pour refaire la démocratie et rendre le pouvoir aux citoyens :
L’Assemblée devra rénover les institutions et permettre à un pouvoir citoyen d’émerger. Le Conseil national de la résistance avait rêvé des jours heureux, et intitulé ainsi son programme dont il nous reste notamment la Déclaration des droits économiques et sociaux de 1946. L’Assemblée constituante devra être à la hauteur de cet héritage.
- Cela signifie d’abord mettre un terme à la monarchie Républicaine. Cela n’impose pas de supprimer l’élection du président de la République au suffrage universel, mais d’en réduire les enjeux. Notre destin ne peut dépendre d’un homme providentiel introuvable.
- La justice doit avoir les moyens de remplir sa mission dans l’impartialité. Les procureurs ne doivent plus dépendre du gouvernement. Les ordres juridictionnels ne doivent plus être séparés et potentiellement concurrents. Le Conseil constitutionnel doit cesser d’être une juridiction inspirée de considérations politiques.
- Mais il faudra surtout ouvrir le champ des possibles, par l’extension du champ du référendum, le développement de la démocratie participative, le recours au tirage au sort… L’objectif sera de renforcer la transparence de la dépense et des comptes publics, de donner aux citoyens de nouveaux moyens de participer à la vie publique, d’organiser la transparence de la vie économique, le partage les ressources numériques, la garantie de l’indépendance des médias…
En résumé, il s’agit de mettre en place une démocratie continue : la démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans l’urne et à déléguer les pouvoirs à un élu puis à se taire. Elle est action continuelle du citoyen.
La citation suivante de Vaclav Havel (discours d’investiture, 1990) est en tout point applicable à la situation française actuelle :
« Notre pays ne fleurit pas. Le grand potentiel créateur et spirituel de la nation n’est pas utilisé comme il se doit. Mais tout cela n’est pas encore l’essentiel. Le pire est que nous vivons dans un milieu moral pourri. (…) La liberté et la démocratie, cela signifie la participation et la responsabilité de tous. Si nous nous en rendons compte, l’espoir reviendra dans nos cœurs. ».
Nous sommes innombrables mais dispersés à rêver d’autres mondes possibles. Ensemble, nous pourrions faire de ce rêve une réalité dès 2017.